LE COQ ET LE RENARD
JEAN de LA FONTAINE
|
|
Sur la branche d'un arbre était en sentinelle Un vieux Coq adroit et
matois. "Frère, dit un Renard, adoucissant sa voix, Nous ne sommes plus
en querelle : Paix générale cette fois. Je viens te l'annoncer ;
descends, que je t'embrasse. Ne me retarde point, de grâce ; Je dois
faire aujourd'hui vingt postes sans manquer. Les tiens et toi pouvez vaquer
Sans nulle crainte à vos affaires ; Nous vous y servirons en frères.
Faites-en les feux dès ce soir. Et cependant viens recevoir Le
baiser d'amour fraternel. - Ami, reprit le coq, je ne pouvais jamais
Apprendre une plus douce et meilleure nouvelle Que celle De cette
paix ; Et ce m'est une double joie De la tenir de toi. Je vois deux
Lévriers, Qui, je m'assure, sont courriers Que pour ce sujet on envoie.
Ils vont vite, et seront dans un moment à nous. Je descends ; nous
pourrons nous entre-baiser tous. -Adieu, dit le Renard, ma traite est longue
à faire : Nous nous réjouirons du succès de l'affaire Une autre fois. Le
galant aussitôt Tire ses grègues, gagne au haut, Mal content de son
stratagème ; Et notre vieux Coq en soi-même Se mit à rire de sa peur ;
Car c'est double plaisir de tromper le trompeur.
|